Marignan, etc

Il était une fois de valeureux guerriers, quʼon appelait les Suisses. Ils avaient de gros mollets de montagnards, et jetaient à lʼoccasion des troncs dʼarbre sur leurs ennemis (Morgarten, 1315). Ils étaient si puissants et si sauvages que tous les princes dʼEurope, et jusquʼau pape, payaient des sommes folles pour que ces hommes fassent partie de leurs armées

Tirant partie de leur force, ces valeureux guerriers avaient entamé une politique de conquête au-delà du massif du Gothard ; déjà le Tessin était à eux. Lentement, ils sʼétendaient vers le sud et, à leur approche, les troupes ennemies de peur se disloquaient comme de vieux chewing gums. Mais voilà quʼun jour, ils ne furent pas du même avis. Les uns voulaient négocier avec lʼennemi en surnombre ; les autres voulaient le combattre. « On ne va pas se faire saigner bêtement », dirent en substance les premiers, qui sʼen allèrent. Les autres restèrent. Ils nʼétaient pas assez nombreux ; ce fut un massacre (Marignan, 1515).

Cela donnait à réfléchir. « Ainsi, être valeureux ne suffit pas », se dirent-ils. « Pour vaincre lʼennemi, il faudrait être toujours du même avis. » Affronter la mort, passe encore, mais être toujours du même avis alors quʼon nʼest pas du même canton, voilà qui était au-dessus de leur force. « Autant devenir neutres », se dirent-ils résignés. Et plus jamais ils ne combattirent à leur compte.

Les nations dʼEurope trouvèrent lʼidée à leur goût, tant et si bien quʼelles décidèrent que la « neutralité de la Suisse était dans les intérêts de lʼEurope entière » (Congrès de Vienne, 1815). Mais ça ne les empêchait pas de venir sans arrêt se mêler des affaires des anciens guerriers, leur dire qui accueillir chez eux et qui en chasser. « Ainsi, être neutres ne suffit pas », constatèrent ces derniers avec dépit. « Pour avoir la paix, il faut gagner le respect. » Retrouvant la vieille hargne, ils brandirent alors dʼun geste brave cette dynamite du chrétien et leur seule arme en stock : la bonté. « Notre mission est de défendre le proscrit ! », clamèrent-ils bien haut. Et les nations dʼEurope, surprises, se tournèrent vers cette voix qui sʼélevait ; elle sonnait si juste quʼon ne pouvait sʼempêcher de lʼécouter, la voix claire des guerriers qui défendaient le faible (CICR, droit dʼasile, la Suisse des bons offices, maintien de la paix, etc et etc.). Cʼest ainsi que les Confédérés gagnèrent le respect et une place dans ce quʼon appelle le concert des nations : en faisant entendre le chant imparable du bien.

Voilà pourquoi les Suisses, lorsquʼils ont à fêter la naissance de leur patrie, remercient avec émoi la grosse défaite de Marignan. Mais la fête serait incomplète sʼils oubliaient que cʼest cette mission si fort clamée, celle de défendre le faible et le proscrit, qui leur a donné une voix alors quʼils étaient muets.

Texte rédigé dans le cadre dʼune action de «Art+politique», Hourra, perdu ! 499 ans, Marignan (www.marignano.ch/), juillet 2014

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